C’était un moment qu’elle s’était attendue à passer. Elle savait qu’elle allait devoir rendre des comptes après ce qui s’était produit sur Mustafar et Sluis Van, et elle s’était préparée au fait que le Chancelier porte ce débat en séance plénière au Sénat, au cœur de cette meute qu’il avait réussi à dompter pour se faire élire deux ans plus tôt. Il était normal, logique, et même prévisible qu’il ait choisi cet endroit, à cet instant, pour tenter d’avancer ses pions, de poursuivre ce qu’il avait entreprit malgré-lui depuis quelques temps maintenant. Siri Draimas savait qu’on allait tenter de la garder sur la défensive, et avait préparé son intervention en conséquence, et sans doute allait-elle encore en surprendre plus d’un en ce jour. L’échanie jouait gros, et en qualité de militaire, se retrouvait coincée dans un carcan entre la volonté de dire ce qu’elle avait et devait dire, et la retenue dont elle était obligée de faire preuve pour ne pas être accusée d’avoir prit parti et donc de posséder une opinion politique.
L’amirale, Directrice du Renseignement Militaire de la République, avait revêtu son uniforme blanc, immaculé et dépourvu du moindre pli. Cet uniforme qui transpirait l’autorité, avec lequel elle avait tout affronté dans cette assemblée et qui portait les marques des nombreux combats, politiques comme guerriers, qu’elle avait remportée. La peau de son visage était elle-même plus grise qu’à l’accoutumée, et les traits de ses lèvres et de ses yeux accentués par une pointe de maquillage dont le seul but était de la rendre plus froide, plus dure et plus captivante. Elle devait rentrer dans la peau de son personnage, en ce jour plus que les autres. Assise sur la plateforme emprunté pour l’occasion, l’amirale gardait les mains parfaitement plates et jointes sur ses genoux, le visage fermé et sans expression aucune, tandis que le Chancelier prenait enfin la parole pour mettre fin à une cacophonie qui n’avait que trop durer. Son discours, proprement populiste, ne le grandissait définitivement pas. Le sephi avait bien changé depuis son ascension au pouvoir, et la mort d’un de ses proches l’avait fait sombrer dans une spirale qui l’avait profondément dénaturé. Ses accusations, qui ne suivaient qu’une logique égoïste, ne faisaient que s’ajouter au mépris, et à l’agacement qui coulait sur son visage. Ses paroles, enfin, sonnaient creuses aux oreilles de l’échanie qui, tout au long du discours, n’offrit aucune réaction. En revanche, l’assemblée elle, était en ébullition.
Ce ne fut que lorsque l’orateur reprit la parole pour lancer le procès déguisé et orchestré par le Chancelier que Siri leva un bras pour le poser sur l’épaule de son aide de camp, laquelle se leva aussitôt pour gérer les commandes de leur nacelle et demander la parole. La demande souleva un nouveau flot de huées et d’applaudissements mêlés qui, une fois encore, sembla laisser la directrice indifférente. Ce n’était bien évidemment pas le cas, mais aujourd’hui plus que tout autre jour, Siri Draimas ne se laisserait pas abattre.
L’amirale ne se leva que lorsque la parole lui fut accordée. Elle s’avança sur sa nacelle jusqu’à se tenir debout devant les commandes et apposa les mains bien à plat sur le pupitre devant elle. Le buste droit, les sourcils verrouillés et le visage fermé, c’est avec le regard brillant chargé de toute son émotion qu’elle prit la parole, faisant taire la cacophonie ambiante :
« Monsieur le Chancelier, Monsieur l’Orateur Sénatorial, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. »
Son regard se posa d’abord sur la plateforme qui lévitait au centre de l’immense salle, avant de venir glisser sur sa gauche et sa droite pour parcourir la partie de l’assemblée qui s’offrait à elle alors même que sa propre plateforme gravitait autour de celle du Chancelier. Tout ces gens voulaient l’entendre. Ils allaient être servis.
« Je répondrais à toutes les questions concernant mes services, mais vous comprendrez, j’en suis certaine, que je ne peux parler au nom de l’Etat-Major, qui possède son propre porte-parole. Je ne pourrais pas non plus révéler certaines informations en dehors du cadre de la Commission du Renseignement, normalement réunie en huit clos.
Cependant, avant de répondre à vos questions, j’aimerais pouvoir clarifier quelques éléments d’ordre général. »
Il était important pour Siri de clarifier ces choses avant de débuter son interrogatoire, et ce en insistant bien sur le fait qu’elle ne se désisterait pas. Qu’elle ferait face à l’adversité, tout en se montrant quelque peu complaisante. Sa demande n’était pas anodine et visait à apaiser les tensions. Certains cependant ne s’y tromperont sans doute pas : elle comptait bien monopoliser un peu de temps pour exprimer sa pensée.
L’autorisation obtenue, Siri attaqua d’emblée, son regard toujours autant chargé d’une émotion qu’elle ne libérait nulle point autre part :
« Aujourd’hui mes pensées vont d’abord aux victimes de l’attaque imprévisible de Sluis Van ainsi qu’à leurs familles. Mes pensées vont également aux victimes de la catastrophe de Mustafar, qui, pour celles et ceux qui étaient présent avec moi ce jour-là, nous a tous profondément secoués. Enfin, mes pensées vont aussi à ces hommes et à ces femmes de toutes origines qui sur Sluis Van comme sur Mustafar, ont fait face à l’adversité, alors que tout semblait perdu, pour d’abord protéger puis évacuer un nombre de civils qui, s’ils n’avaient pas été là, se serait ajouté au décompte de nos morts. Saluons-les, car nombre d’entre eux ne sont pas rentré chez eux ce jour-là. »
Les mains toujours bien à plat, elle venait d’offrir une manœuvre classique visant à faire comprendre qu’elle comprenait elle aussi la douleur et la colère ressentit au sein de l’assemblée. Le nous n’était d’ailleurs pas anodin, et montrait qu’elle s’incluait et qu’elle partageait le même fardeau que ceux qui avaient été meurtris par ces évènements. L’intonation, enfin, était maitrisée de sorte à ne pas offrir un discours monotone, mais au contraire ponctué et agrémenté de ralentissements et d’accélérations offrant un rythme régulé. Ses paroles reçurent immédiatement les applaudissements de l’assemblée, et il ne pouvait en être autrement lorsque l’on rendait hommage aux héros, aux morts et aux sacrifiés.
Siri avait marqué une pause volontaire et son regard était venu soutenir celui du Chancelier. L‘orateur tenta alors de reprendre la parole mais l’échanie ne lui en laissa pas le temps. Elle n’avait pas fini, et maintenant qu’il lui avait ouvert la porte, elle comptait bien garder son pied dans l’embrasure pour l’empêcher de la lui claquer sous le nez. Ils voulaient tous l’entendre, ils allaient donc l’écouter.
« Quarante ans. C’est le temps qui s’est écoulé depuis le dernier grand conflit ayant impliqué la République. Quarante années au cours desquelles mes services ont protégé la République en amont, en allant au-devant des menaces pour s’assurer que jamais la République ne soit impactée. Sénatrices, Sénateurs, Monsieur le Chancelier, il est difficile d’évoquer ce que l’on ne voit pas, alors qu’il est si simple de porter des accusations dès lors qu’une faille apparaît au milieu de tant de succès nécessairement discrets. »
Sa main gauche s’était légèrement levée lorsqu’elle avait commencé à évoquer ses services, dont elle connaissait les compétences et dont elle savait qu’elle pouvait renouveler la confiance qu’elle avait en eux. Malgré ses propos son discours ne souffrait d’aucune animosité, d’aucun élan émotionnel à l’encontre de quiconque, et ce malgré la colère qu’elle pouvait ressentir à chaque fois que l’on portait des accusations contre elle, ou ses protégés. Aucun des éventuelles huées ou applaudissements qui ponctuèrent ses paroles ne surent l’atteindre. Elle était lancée, sa parole contrôlée, son non verbal dominé.
« Pourtant, cela fait maintenant deux ans que la République fait face à de nombreux troubles, tant sur ses frontières qu’en son cœur. Pourquoi ce changement soudain ? Que s’est-il passé pour que, du jour au lendemain, nos forces armées aient tant perdu en efficacité, et en réactivité ? Ce n’est pas à moi de développer ce sujet en leur nom. Cependant, en ce qui me concerne directement, des changements ont été effectués, des réorganisations ont eu lieu, avec pour conséquence une dégradation considérable des capacités de mes services à accomplir leur mission. Les informations ne remontent plus comme elles le devraient, et certaines ne parviendraient jamais jusqu’à nous si les hommes et les femmes que j’ai sous mes ordres ne remplissaient pas leurs tâches contentieusement. »
Cette fois-ci, l’accusation était plus franche, plus directe, sans pour autant mentionner ou pointer du doigt qui que ce soit. Son intonation, d’ailleurs, n’avait guère changé depuis sa toute première prise de parole. Le Chancelier, bien évidemment, saurait comment interpréter ces propos mieux que quiconque, et c’était bien pour cela qu’elle ne lui offrit pas le moindre regard en énonçant ses propos. Siri Draimas avait été convoqué par cette assemblée pour s’expliquer, pour donner des raisons. En agissant ainsi, en amont de leurs questions, elle coupait l’herbe sous le pied à ceux qu’il était facile de convaincre en offrant une solution simple, directe, celle du renoncement à une politique qui avait froissé l’échanie, et ce tout en orientant potentiellement les questions qui viendraient ponctuer son discours.
« Monsieur le Chancelier, cela fait plusieurs fois que je me présente devant vous depuis le décès de l’un de vos proches, le sénateur de Coruscant. Cela fait plusieurs fois que je vous appelle, vous représentants des mondes de la République, à ne pas vous tromper d’ennemis. Lorsque j’entends de tels discours, je me dois de m’inquiéter pour le futur. Les militaires sont les garants de nos frontières. Sans eux, la République serait sans défense et incapable d’orchestrer la moindre riposte. Les Jedi sont nos alliés depuis la fondation de ce gouvernement, et ont toujours agi pour le préserver. »
Son regard avait finalement fini par s’échouer sur la plateforme du Chancelier au moment même où elle avait évoqué le décès de son beau-père pour immédiatement rebondir de gauche à droite lorsqu’elle avait englobé l’ensemble du Sénat dans ses propos. Si Siri ne pouvait émettre de paroles politiques du fait de son statut, en tant qu’enquêtrice de métier elle ne pouvait cautionner que l’on lance des accusations sans le moindre fondement, sans la moindre preuve, contre des individus dont les actes passés avaient montré aux yeux de tous leur intégrité, et pour certains, leur dévotion aux valeurs morales de la République. A cet instant, l’amirale avait déglutit, trahissant pour la seule et unique fois le masque qu’elle avait arboré depuis qu’elle avait prit la parole, laissant transparaître l’origine d’une partie des émotions qui, elles, avait toujours été lisibles dans ses yeux.
« Si vous me le permettez, je voudrais terminer en soulignant que les ennemis le plus à redouter ne sont jamais ceux qu’on s’apprête à combattre : ce sont les illusions par lesquelles nous nous laissons aveugler. Ce sont elles qui nous égarent, gouvernement, militaires, partis, citoyens, et nous empêche de voir la vérité. Ne nous laissons pas aveugler. »
Si les Jedi ou l’Armée n’était pas à ses yeux les responsables, le Chancelier ne devait pas subir pour autant les accusations, et encore moins se retrouver sous le coup d’une motion de censure. Les évènements récents laissaient tous à penser que quelque chose, ou quelqu’un, cherchait à déstabiliser la République. C’était cette chose ou cette personne qui était responsable, et faire chuter le Chancelier ne ferait qu’offrir le terreau qu’il ou elle escomptait obtenir depuis le début…
Gardant le buste droit, l’échanie inclina légèrement la tête en direction de l’orateur signifier qu’elle avait terminé, et conclut aussitôt son intervention, fusse-t-il sous une éventuelle pluie d’applaudissements ou une vague de huées :
« Je vous remercie, Monsieur l’Orateur Sénatorial. A présent, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions. »